jueves, 12 de noviembre de 2009

Conférence de l ’Union Maçonnique Médi terranéenne


Dr. Ina Pipéraki Veni se, 6-8 Novembre 2009

« La franc-maçonnerie a-t-elle vraiment un message à adresser aux nouvelles
générations dans ce cadre actuel d’une profonde crise morale et économique ?

Thème Général de réflexion

«Quel message peut apporter la Franc-maçonnerie aux jeunes
générations des pays Méditerranéens ?» ;

Mesdames et Messieurs,

Existe-t-il une civilisation méditerranéenne, une culture méditerranéenne ? « La civilisation, rappelle Lévi-Strauss, implique la coexistence de cultures offrant entre elles le maximum de diversité et consiste même en cette coexistence ». Par ailleurs, la culture ou la civilisation, pris au sens le plus large, est cet ensemble complexe incluant les savoirs, les croyances, l’art, les moeurs, le droit, les coutumes, ainsi que toute autre disposition ou usage acquis par l’homme en tant qu’il vit en société.

La civilisation méditerranéenne …! Il s’agit d’une spécificité collective pour cette grande zone sociohistorique de l’humanité que fût le bassin méditerranéen ; ce terme « de civilisation méditerranéenne », pour nous f∴m∴, nécessite de conserver la part d’idéal humaniste que lui ont insufflé les philosophes des Lumières, en le débarrassant des contaminations subies par les violences de l’Histoire. Tâche peut-être insurmontable, comme celle qui consiste à retrouver l’idéal de ces idéaux moralement menacés de nos jours, « la liberté » ou « la démocratie ». Constatons tous, de même, que si on a pu parler « du choc des cultures »1, les civilisations autour de la méditerranée ne s’entrechoquent pas : elles se mêlent et produisent un espoir, le métissage, tentative pour construire un universel vrai. Suivant notre concept maç∴ , on a toujours favorisé l’apparition « d’une civilisation universelle de fraternité humaine» et que celle-ci soit plutôt un mélange harmonieux de différentes cultures, opinions, idées, courants de pensées… Le point de vue de Huntington, discuté et critiqué, qui d’une manière ou d’une autre a marqué la fin du XXe siècle, oublie que les civilisations loin d’être des blocs monolithiques imperméables à toute influence extérieure, peuvent être des ensembles poreux, qui favorisent l’échange de connaissances, l’éducation, le dialogue interculturel, qui sont des voies d’avenir, loin d’avoir été autant ouvertes qu’il le faudrait.

C’est évident que la maîtrise civilisée dans le bassin méditerranéen repose sur la paix et donc sur ce qu’on appellerait aujourd’hui la bonne gouvernance : c’est l’encadrement social par desinstitutions politiques harmonieuses qui permet de repartir entre tous les fruits du travail humain.

Il faut que tous prennent conscience que tout en abolissant le temps et les distances, la technologie et l’informatique en aident beaucoup, la mondialisation ne fait disparaître ni la pertinence des grandes aires civilisationnelles, ni la prégnance de l’histoire et de la géopolitique.

La mondialisation ne se déroule pas dans un vide politique ou culturel. Ce qui s’y joue c’est une lutte pour le pouvoir, ou plutôt les différentes expressions du pouvoir : Qui va définir les normes, les régulations et le but de la mondialisation ? Quels états pèseront le plus dans ce processus ? Quelles influences civilisationnelles modèleront l’espace mondial ? Et en plus, dans cette époque de crise profonde surtout morale, financière et économique comment protéger l’avenir ? Est-ce qu’en tant que citoyens éveillés et francs-maçons nous considérons-nous en capacité d’avoir des solutions ?

Mes ff∴ et mes ss∴, en franc-maçonnerie on ne « vend » pas « des fruits », rien n’est donné pour un prix bien fixé, voire négocié au préalable ! Ici, on sème des graines, on favorise la réflexion et l’initiative, on propage nos valeurs et nos principes. Et pour que cela dure longtemps, il faut que cette méthode, ces principes, ces idéaux continuent à inspirer les nouvelles générations actives de la société ; il y a une nécessité profonde qu’ils continuent à être « semés » dans les coeurs des futurs maçons, pour devenir ainsi « les outils » afin d’élaborer le futur, l’avenir générationnel, qui appartient à l’humanité toute entière!

Aujourd’hui, plus que jamais, l’existence d’un monde viable pour les prochaines générations humaines est menacée : crise financière, économique et surtout morale, remise en question des Droits de l’homme (Durban II), péril environnemental ! Voilà le cadre dans lequel on se situe aujourd’hui, étant maçons et citoyens du monde, à la recherche de l’idéal humain, d’un pragmatisme évolué, du temps « perdu » ou retrouvé, de la Parole renouvelée. Ainsi, le futur, devient-il directement l’horizon de notre responsabilité !

Et la franc-maçonnerie, dans le cadre de cette réalité méditerranéenne qu’on l’on vient d’aborder dans la première partie de cette réflexion, a-t-elle vraiment un message à adresser aux nouvelles générations ? Pouvons-nous encore les inspirer ? Sommes-nous encore aptes à enflammer leurs coeurs par les principes de la L∴de l’ E∴et de la F∴ ? Et ces principes reflètent-ils encore la réalisation d’un monde meilleur ? Avons-nous une méthode à leur transmettre ? Sommes-nous capables de répondre à leurs besoins ? Pouvons-nous garantir la continuité et la cohésion de la société contemporaine ?

Notre questionnement est grave et sérieux ! Mais malgré tout, la réponse ne devrait être que « oui », largement « oui » ; sinon, nous ne serions plus des maçons ! Les francs-açons n’acceptent aucune entrave à la recherche de la Vérité et une fois acquise ils souhaitent la faire partager à l’extérieur, au monde entier ! Si la société est gravement malade, et on en est tous responsables ; c’est exactement à ce point-là que commence le travail maçonnique. Le pessimisme et l’introspection stériles ne servent à rien.

Qu’est-ce qu’on entend par le mot « message » ?

Le message est la manière de faire connaître une information ; il peut être lui-même une information, une idée, un précepte ; le message peut être verbal ou non verbal, une action, ou des actions, c’est-à-dire un comportement. Adresser un message présuppose une source et un récepteur ; je pense que vous reconnaissiez, mes ff∴ et mes ss∴, notre rôle « de source ».

Oui, la f∴m∴ l’a été et doit continuer à l’être … Une source qui désaltère ! beau symbole !

On a traversé une longue période de croissance économique (au moins largement considérée comme telle, bien qu’aujourd’hui on ait compris qu’il faut peut-être mesurer autrement la croissance) qui allait de pair avec une période de spéculation, de profit « avéré », de cupidité humaine. Et nous voilà maintenant, depuis plus d’un an, en pleine crise financière, économique et morale ! Nous francs-maçons et citoyens éveillés, nous savons que tout dépend du fait que l’homme est considéré comme un moyen et non comme une fin ! Et quand on parle « de l’homme », on parle d’autrui, de cette merveille qu’est « l’autre », notre semblable, notre
confrère…

La parole et l’action maçonnique ont toujours été l’avant-garde de la société, professant l’équité sociale, la probité, menant les débats pour l’élaboration de propositions concrètes, réaffirmant une éthique maçonnique et républicaine, défendant toute l’ampleur de la dignité humaine, étendant les valeurs humanistes en dehors de nos temples.

« Vraiment » se traduit dans ma pensée comme vrai, pragmatique, appliqué, tangible, réel ! De nos jours, l’Europe de la citoyenneté et des droits sociaux, le monde entier, se révèlent principalement être un espace de libre échange de tout et de rien ! La crise laisse place une nouvelle fois au doute, à l’émergence de populismes, d’extrémismes et de xénophobies !

Et dans cette réalité affligeante les jeunes se trouvent les plus touchés par le chômage, l’isolement, l’insatisfaction et l’instabilité qui nourrissent la peur de l’avenir, la peur de l’autre ; ils sont également angoissés et se croient incapables de faire bouger la société.

Alors, notre rôle est de leur donner de l’espoir, la franc-maçonnerie a toujours été l’espoir, et de l’autre côté il faut faire des choses simples pour susciter leur intérêt et favoriser le dialogue (p.ex. organiser des forums ne s’adressant qu’aux jeunes), couvrir leurs besoins (cotisations adaptées à leurs revenus), utiliser l’art comme un moyen et être un lieu convivial de rencontre et de libres échanges, surtout les informer et leur démontrer de façon tangible « la valeur » de nos valeurs.

Il faut les rassurer, leur présenter notre message positif et notre ardeur à nous battre continuellement; on peut par exemple contribuer à lutter contre les risques d’isolationnisme, de protectionnisme, d’instabilité et les injustices qui émergent; on peut favoriser la consolidation du sentiment d’identité et de citoyenneté, d’une cohésion sociale recherchée ; luttons avec eux contre un conformisme de mauvais augure dans un monde globalisé où la capacité d’adaptation, l’aptitude à l’innovation, l’esprit à l’initiative sont les clés de la survie.

Nous sommes conscients qu’il faut inventer des nouvelles façons de produire, de consommer, de gouverner, de partager, de vivre ensemble en fraternité par notre double méthode maçonnique : allier la démarche initiatique qui est une quête perpétuelle du bonheur personnel et l’engagement citoyen en faveur d’une société plus pragmatique, plus équitable et plus éclairée.

Et si vous considériez mes ss∴ et mes ff∴ que rien ne change, que rien ne bouge … je crois, personnellement que non ! On ne va pas changer le monde d’emblée, «des pénibles et longues» démarches sont nécessaires. On fait globalement des pas lents, mais on avance. J’ai très attentivement écouté la présentation du «Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social», dit rapport de la Commission Stiglitz (prix Nobel d’économie); et par suite je l’ai très minutieusement lu, non parce que c’est mon domaine de compétence, mais parce que ce qui m’a frappé c’est que c’est la première fois que dans un rapport économique figurent en grosses lettres les mots «progrès social, « soutenabilité », qualité de vie, bien-être social … ».

Et cela va de soi avec le questionnement quant à la mesure des performances au niveau du bienêtre social: Comment également mesurer le sourire aux lèvres des enfants, le soulagement des handicapés et des gens défavorisés qui ont besoin de notre présence ? Comment évaluer «le confort» de vivre harmonieusement en société, et comment mesurer la sécurité humaine des citoyens du monde ? Faudrait-il inventer, ou réinventer, des indicateurs pour mesurer le bonheur, l’égalité sociétale, la fraternité humaine et la liberté de tout être au niveau planétaire ? Faudrait-il oeuvrer de la sorte que chacun citoyen prenne du plaisir dans sa vie de tous les jours ? Faudrait-il travailler pour l’avènement d’une ère où la qualité « balayera » la fausse valeur de la quantité ? tant en société qu’au sein de nos temples, l’accolade f∴ a plus de prix pour nous maç∴ que, parfois la meilleure des planches entendues…

Je crois que le moment est propice ; cette période après la crise, ou plus certainement en cours de crise, nous laisse à nous maçons l’espace pour agir. Notre message humanitaire et humaniste doit mieux passer ; c’est la première fois que les rapports économiques et scientifiques parlent de la nécessité «de l’invention d’une nouvelle croissance qui privilégie non le chiffre mais le bien-être humain»; c’est la première fois que la cupidité humaine, l’intérêt, le profit sont autant en question. Réjouissons-nous mais agissons ! Les oreilles sont prêtes à nous entendre, les coeurs sont prêts à s’ouvrir, les consciences semblent plus éveillées …. « παθήναι καί ειδέναι» (on comprend mieux après avoir souffert).

Est-ce qu’aujourd’hui, avec un peu de recul, tout en étant en pleine crise ou en post-crise, cela dépend du pays ou de la considération personnelle, nous semble-t-il que toutes les crises sont pareilles ? Et n’y-a-t-il donc rien à faire, puisque les mêmes maux semblent se manifester à chaque crise ? La vérité c’est que le mal qu’il faudrait combattre est au coeur de l’homme : sa
crédulité, son comportement moutonnier, sa cupidité. Mais pourtant, de crise en crise, notre humanité progresse, à nous d’en tirer le meilleur enseignement … Voyons donc dans cette crise, comme dans les précédentes, un rappel sans doute pénible, mais utile, à combattre nos «démons», et à ne jamais négliger l’inlassable travail d’adaptation et du progrès !

L’avenir attend d’être «modelé», l’avenir cherche et interroge, réfléchit et frappe à la porte de notre temple; en sommes-nous bien conscients ? Sommes-nous suffisamment attentifs ? La jeunesse est une ressource, ou plutôt la seule ressource saine de renouvellement et de continuité de l’existence, la seule preuve tangible de notre immortalité, notre Graal ! Même si nous ne possédons pas de solutions, nous possédons, depuis le début de l’histoire maçonnique, une méthode …

La franc-maçonnerie est l’art de douter, de se questionner, mais aussi de passer à l’action, de côtoyer le danger, d’accueillir, d’engendrer « le feu de la révolte » ; c’est l’art d’aimer de façon absolue, c’est l’Eros de la Vie elle-même, … afin de gouter la liberté ésotérique et de se battre pour la liberté exotérique ! Et pour reprendre les propos d’un philosophe contemporain grec, Emmanuel Criaras, je conclus :

« L’amour (Eros) est la recherche de l’idéal humain, c’est peut-être le seul idéal qui a survécu à notre époque. Eros est l’antidote à la mort ! c’est peut-être la vie elle-même ; la vie n’est pas heureuse sans l’amour ! »
Merci de votre fidélité
J’ai dit
Ina Pipéraki
GSAE, adj.

1 Samuel Huntington, “The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order”, (1996).

Bibliographie
1. «Atlas de civilisations», Le Monde Hors-série, Coédition « La Vie - Le Monde », 2009-2010.
2. Stiglitz Joseph E., Sen Amartya, Fitoussi Jean-Paul, «Rapport de la Commission sur la mesure des
performances économiques et du progrès social», 14 septembre 2009.
3. «Repenser la planète finance: regards croisés sur la crise financière », Le Cercle Turgot, sous la
direction de Jean-Louis Chambon, «Les Echos Editions et Groupe Eyrolles, 2009.
4. Helle Damgaard Nielsen, ITUC Polisy Research Officer, « La crise économique et financière
mondiale et son incidence sur les jeunes », blog des Jeunes de la CSI, 1 septembre 2009.
5. « Enquête mondiale : comment les jeunes voient leur avenir », L’Express, 2/1/2008.
6. « La Commission souhaite mieux intégrer les jeunes dans la société », IP/07/1281, 5 septembre
2007.
7. Samuel Huntington, “The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order”, “Le Choc des
Civilisations et le Nouvel Ordre Mondial”, (1996).

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